Photographe de femmes enceintes, de nouveau-nés, de bébés ...
J’ai 31 ans, je suis mariée et j’ai 2 enfants. Je suis photographe de femmes enceintes, de nouveau-nés, de bébés, de familles. J’adore mon métier car il m’apporte une bulle de bonheur à chaque séance, j’immortalise l’amour, la tendresse, la complicité… Mais certains n’ont pas cette chance. J’ai envie d’aider à mon niveau les parents dans la souffrance d’un enfant malade ou décédé. Ce n’est pas la logique en tant que parent d’accompagner son enfant dans la maladie ou la mort. Certaines personnes peuvent trouver ça glauque de photographier un enfant dans ces conditions. Je demanderais, juste un instant, à ces personnes, d’imaginer vivre avec la mémoire d’un enfant disparu sans même avoir une image de lui. Aujourd’hui, je vois les deux faces de la vie, belle et cruelle.
Face au deuil périnatal
→ 21 avril 2016
Par hasard (s’il existe), je découvre l’association Souvenange et suis extrêmement touchée par la force et le courage des bénévoles. Deux missions, la retouche des photos envoyées par les parents endeuillés et la prise de photos en maternité. Ma première réflexion « pourquoi les bénévoles acceptent de voir tant de tristesse ? Pourquoi prennent-ils le risque d’être bouleversés à ce point alors qu’ils ne connaissent même pas ces familles ? ».
Je me renseigne sur cette cause, lis des témoignages poignants de parents et comprends très vite que c’est essentiel pour eux d’obtenir ces images si douces, démédicalisées. Je deviens adhérente et bénévole, je suis fière de cette décision. Je fais le choix de ne réaliser que les retouches de photos envoyées par les parents. Me sentant incapable de lâcher le « bouclier » que crée mon écran et de me retrouver face aux parents. Je commence ce travail tout en étant formidablement entourés par les présidents, Hélène et Jean, toujours disponibles, pour toutes questions, de jour comme de nuit…
→ 17 mai 2016
Un message de l’association vient de m’être adressé, une maman nous a contactés. Dans quelques jours, elle dira au revoir à son bébé, accouchera puis devra le laisser partir. Je suis la bénévole la plus proche, je suis sollicitée et la décision d’intervenir ou pas me revient.
Á ce moment, je me donne jusqu’à la fin de la journée pour donner ma réponse. Une chose est sûre, je déciderai seule car il s’agit d’une aventure personnelle et je ne veux pas être influencée. La maman attend, je pense qu’elle a envie de savoir si elle pourra accompagner son bébé comme elle le souhaite. Comment dire non à cette maman ? Je ne le pouvais pas. J’ai donc dit oui car c’était pour moi plus facile que lui dire non.
A partir de là, des milliers de questions me viennent à l’esprit. Comment sera le bébé ? Comment seront les parents ? Est-ce que je vais réussir à retenir mes larmes ? Est-ce que les émotions vont me submerger ? J’ai dit oui mais comment je fais ? Mon esprit est hanté par cette aventure, j’y pense tout le temps et je n’ai que quelques jours pour m’y préparer.
Au cœur de l'association Souvenange
→ 20 mai 2016
Une longue conversation téléphonique avec Hélène, la présidente de l’association. Elle est à la base de tout, elle connait, elle le fait, elle est la seule pour le moment à se déplacer en maternité, elle va pouvoir m’aider ! Maintenant, j’en sais plus sur le déroulement. Je la questionne beaucoup sur des points techniques mais avant tout émotionnels.
Elle me donne des tas d’informations, sans forcément prendre des pincettes et je la remercie pour ça. Je savais à peu près à quoi m’attendre, comment serait le bébé, comment je risquais de réagir. Elle me donne confiance, me booste, m’encourage et j’en ai grand besoin. Elle est loin mais pourtant si présente, un exemple.
Premier contact avec la maman par messages téléphoniques interposés, l’accouchement sera déclenché le mercredi suivant, au matin… La maman sait que je vais intervenir, elle a mes coordonnées, le contact est établi, je lui dis que je ferais pour le mieux. Maintenant, il est impossible de faire machine arrière, je dois le faire.
→ 24 mai 2016
Á la veille de la rencontre, je reçois des nouvelles de la maman. Elle m’en dit plus sur le déroulement de sa journée du lendemain. Je lui demande qu’elle me tienne informée dès la naissance du bébé et que je ferai mon maximum pour venir au plus vite. Je lui souhaite bon courage, je suis très stressée. En fait, je n’ai pas hâte et je voudrais que le temps ralentisse, tout va si vite depuis une semaine…
Le jour J
→ 25 mai 2016 15h00
Mon téléphone sonne, premier contact avec le papa. Un sms qui m’indique que le bébé devrait naitre dans les prochaines heures. Ouf ! J’ai encore du temps devant moi, encore quelques heures pour me préparer psychologiquement.
→ 25 mai 2016 15h30
Mon téléphone sonne, c’est un sms : bébé est né. Déjà ? Quelle rapidité ! Tant mieux pour la maman mais là, ça va très vite pour moi. Je respire un grand coup (merci Hélène pour les conseils), me vide l’esprit. Je me pose et réfléchis. Comment puis-je me rendre au plus vite au CHU sachant que c’est mercredi ? Il n’y a pas d’école, ma petite de 2 ans fait la sieste, ma grande de 4 ans va rentrer d’ici peu... Mon mari, qui me soutient beaucoup dans cette aventure, me propose de rentrer afin que je puisse partir. Bon, le souci technique en moins…
Témoignage poignant face au deuil
→ 25 mai 2016 16h30
Je pars de chez moi. Mes affaires étaient prêtes depuis le midi. Je règle le GPS, je mets l’un de mes CD préféré dans l’espoir de me vider la tête. Je ne veux pas me mettre en danger, j’ai un mari, j’ai 2 petites princesses qui attendent mon retour. La route est longue, j’habite à 1h20 du CHU.
D’un sens, je suis contente car ça n’arrive pas trop vite. Par contre, les 20 dernières minutes ont défilé à une vitesse vertigineuse, trop vite en fait. Ca y est, j’y suis, je viens de me garer, le CHU est juste là derrière moi. Un peu inconsciemment, je me suis garée à l’exacte opposée de l’entrée, là-bas, tout au bout du parking, là où toutes les places sont libres tellement c’est éloigné, comme pour repousser un peu la rencontre qui se ferait dans quelques instants.
Avant de quitter ma voiture, j’ai pris mon téléphone pour informer de mon arrivée ceux qui attendent de mes nouvelles. Là, j’ai lu tous les messages de sympathie et d’encouragement que les autres bénévoles m’ont laissés. Que c’est bon de se sentir soutenue et encouragée par des personnes qui comprennent pourquoi je suis là.
J’avais les mains moites, légèrement tremblantes, je sentais mon cœur battre vite, très vite mais, j’avançais. Je préviens le papa de mon arrivée. La maman n’a pas encore rejoint sa chambre, lieu de notre rencontre. J’attends dans le hall. Je suis très concentrée sur mes émotions, je dois être forte, les parents n’ont pas besoin de voir une étrangère pleurer sur leur sort sans même la connaitre !
→ 25 mai 2016 18h30
Sms, le papa descend me chercher, je suis devant les ascenseurs. Ils s’ouvrent plusieurs fois sans que personne ne vienne à ma rencontre. La prochaine sera la bonne. Il sort de l’ascenseur. Je sais que c’est lui, c’est la seule personne qui descend du 2ème étage la mine triste, le visage fatigué, mais, il me semble serein, sympathique.
On se tutoie, lui c’est Yannick. Nous montons au 2ème étage et longeons les longs couloirs, j’ai une boule au ventre. Je sais déjà que bébé n’est pas dans la chambre, que la maman va bien physiquement, l’accouchement a été rapide. Nous rentrons. Je vois une maman aussi belle que triste, c’est Aurélie. Quel ressenti étrange. Quelques minutes avant, je croisais dans le couloir des mamans avec leur nouveau-né dans les bras, et là, juste à côté, avec moi, 2 parents endeuillés.
Un petit verre de limonade le temps de quelques phrases, nous faisons connaissance. Ils savent que c’est une première fois pour moi, je ne leur ai rien caché. Je m’apprête à vivre avec eux l’un des moments les plus forts de ma vie. Quelques minutes plus tard, la sage-femme frappe à la porte, accompagnée d’une infirmière, bébé arrive, caché de la vue des autres occupants de l’étage par un linge blanc.
Elles le découvrent et installent le berceau juste à côté du lit de la maman et quittent la pièce en nous proposant de revenir à tout moment en cas de besoin. Ca y est, il est là, je vais devoir le regarder, poser un premier regard sur lui, que c’est dur ce premier regard, c’est ce qui m’a semblé de plus compliqué depuis mon arrivée. Dans la pièce, il règne un climat apaisé, nous sommes tous sereins.
On dirait que le temps s’est arrêté. Yannick a mis de la musique douce, que ça fait du bien, ça m’a vraiment aidé. Mes yeux fixés sur le berceau, je me lève de ma chaise, je m’approche, mes yeux se perdent dans ce berceau qui parait si disproportionné pour ce petit être de même pas 500g.
Ca y est, je le regarde installé dans son si petit nid d’ange. Un micro bébé est sous mes yeux, il a naturellement sa petite main sous sa joue, ses parents le trouve beau, étonnement, moi aussi. Cet ange parait si paisible… Il est accompagné de petits objets : des origamis, deux petits doudous, un petit livre de photos lui présentant sa famille avec en couverture une photo de sa grande sœur.
Je commence à sortir mon appareil photo et à immortaliser les traits de ce tout petit. Je prends mon temps, ses parents aussi, on discute, on l’admire ! Progressivement, j’écarte tout en douceur les tissus qui l’entourent afin de découvrir mieux son visage. Ses parents sont là, très prévenants envers moi et nous nous soutenons. Un peu maladroite, mon doigt touche sa peau. Il était si froid que des frissons m’ont envahis le corps. Maintenant cette nouvelle étape franchie, à chaque prise de vue, je le découvre encore un peu plus, afin de n’oublier aucune partie de son corps.
Sa bouche, son nez, son oreille, sa main, son pied… il est presque parfait, il était lui. Je ne voulais rien regretter, je voulais tout donner alors je le touche à nouveau pour lui mettre le petit bracelet fabriqué par sa maman. Petit à petit, bébé est maintenant complètement découvert. En douceur, Aurélie et Yannick ont réussi à le regarder entièrement nu.
Ils ne l’avaient pas encore regardé ainsi et, jusqu’à ce moment-là, ne comptaient même pas le faire. Quelle victoire ! Je le prends, le mets dans les bras de sa maman et quel cadeau que de réaliser des images de cette famille. Des parents esquissant des sourires à leur bébé, comme le feraient n’importe quels parents. Je réfléchis, je pense avoir tout pris. Bébé est replacé dans son berceau par son papa si délicat envers lui. Bizarrement, je ne suis pas pressée de partir, je vis un moment unique avec des parents vraiment formidables.
Pendant encore quelques minutes, je prends encore le temps de le regarder, moi qui 1h auparavant appréhendais tellement que mes yeux se posent sur lui… Nous échangeons encore quelques brins de nos vies. Dans d’autres circonstances, nous aurions sans doute pu sympathiser tellement ils me semblent être des gens sympathiques. J’explique le cheminement qui fait que j’en suis arrivée là, nous cherchons à nous connaitre un peu après cet échange si particulier.
Nous discutons, nous nous regardons, nous sourions. Nous avons créé quelque chose ensemble… la seule preuve visuelle d’existence de leur petit, des images qui feront parties des plus beaux trésors de leurs vies, des images douces et absolument pas morbides... Des bises, des souhaits de courage pour la suite, l’envie de se donner des nouvelles, je pars, il 20h. Je me sens bien, je me surprends à sourire car j’ai ressenti le bienfait que j’ai procuré et également tout le bien qu’ils m’ont apportés. Ils sont gravés en moi, je ne les oublierais jamais. Aujourd’hui, j’ai rencontré des parents merveilleux. Aujourd’hui, j’ai rencontré un ange.
Alexia.M
Bravo à la photographe, les larmes aux yeux en lisant l’article. Je ne pense pas que j’aurai eu cette force.
Je pleure, et pourtant cela fait 21 ans que MA petite fille est partie. J’ai toujours l’impression que cela fait hier. Combien de fois, n’ai je pensé à ce petit qui était bien au chaud dans mon ventre et qui a fait des pirouettes et 2 nœuds dans son cordon.
Rien, je n’ai rien ressenti, juste cette douleur la semaine d’avant, mais je n’y ai pas prêté attention.
Je voudrai en parler encore mais plus personne ne m’écoute. il parait qu’il faut laisser le temps au temps.
Entre les personnes qui n’écoutent pas la peine des parents, qui maladroitement minimise la douleur.. Mais j’imagine combien ça peut être dur.. Permettez-vous d’avoir et ressentir de la tristesse, même si ça fait 21 ans ! Si vous ressentez le besoin d’en parler « encore » alors trouvez des personnes qui vous écouteront, qui valideront ce que vous ressentez.. Il existe des associations comme celle citée dans le témoignage, spécialisée dans le deuil périnatal, qui pourront vous répondre, vous écouter, vous conseiller. Le temps parfois nous aide, mais nous pouvons aussi avoir besoin d’un petit coup de pouce pour réussir à faire son deuil.
les larmes me coulent aussi et me rapelle tant de souvenirs beaux mais douloureux….
Jaurai aimé avoir quelquun pour prendre des photos. AU lieu de cela je nai quune photo de la maternité, pas trop belle, mise ne scene…
Magnifique témoignage, ma maman a également accouché d’un bébé mort né à la fin de sa première grossesse! C’est maintenant à mon tour de souhaiter un enfant, mais je ne cache pas avoir le peur de cette terrible nouvelle un jour…!
Des personnes trouverons ça surement « bizarre » ou « choquant » d’avoir des photos comme ça, mais vous avez raison! Comment faire pour continuer de vivre sans avoir de « souvenir », autre que notre mémoire!
C’est tellement beau et courageux!
Une grande pensée pour tous les parents étant passé par la!
Merci tout simplement merci. Mon petit ange est parti bien trop tôt pour pouvoir prendre des photos. Il ne me reste que les échographies … Merci d’avoir pu permettre à ces parents de laisser une trace dans leur album de famille et merci à vous d’avoir pu passer le cap de faire ces photos. Je vous souhaite encore des milliers de rencontres de petits anges, de papanges et de mamanges. Continuez autant que vous le pourrez. Amicalement.
Je comprends si bien cette envie de garder le souvenir… Avec une fausse couche précoce tout ce que j’ai c’est la première échographie et une photo de mon mari et moi à l’époque où…