Le départ des enfants est une étape difficile pour les parents. Comment trouver un nouveau rythme de vie et faire face à l'absence ? Conseils et témoignages.
Les enfants quittent la maison : Le syndrome du « nid vide »
« Quand ma fille est partie à Paris pour sa licence de droit, j'ai ressenti une douleur que je n'imaginais pas, raconte Paule, 54 ans. J'avais l'impression qu’on m'avait arraché le cœur : je me sentais meurtrie et seule. Une partie de moi était bel et bien partie à Paris... »
Les psychologues baptisent cet état " le syndrome du nid vide" : « Un ensemble de symptômes qui touche les parents quand l'enfant s'en va et laisse sa chambre vide », explique Catherine Berger psychanalyste et psychothérapeute.
Les symptômes sont presque toujours ressentis de la même façon par les parents : sentiment d'abandon, de solitude, de désœuvrement, d'inutilité... une tristesse qu'il va falloir assimiler pour redémarrer une nouvelle tranche de vie.
Même si le syndrome du nid vide peut être éprouvé par chacun des parents, la mère est davantage touchée par ce départ.
"Elle a connu, à la naissance, l'expérience du ventre vide. Chez elle, la fusion est plus intense, la coupure également", estime Rosine Braly, conseillère en relations humaines.
La mère a l'impression d'être amputée d'une partie d'elle-même. Pire, elle culpabilise de partager avec les autres ce qu'elle ressent : « Comment avouer que je suis triste à cause du départ de ma fille, alors qu’elle a 23 ans ? poursuit Paule. Je passerais pour une mère possessive et égoïste. »
Conséquence : beaucoup de mères se terrent dans le silence pour mieux étouffer leur peine. Elles se réfugient dans le déni, pour ne pas souffrir, ou par fierté, parce qu'elles ont honte d'éprouver de la tristesse…
Pourtant, toutes les mères éprouvent le syndrome du nid vide. Il est bien sûr plus ou moins fort selon les personnes, les liens entretenus avec l'enfant — si c'est l'aîné ou le petit dernier qui part... — mais ce ressenti est tout à fait normal.
En effet, comment ne pas éprouver de peine alors que vous assistez à la prise d'autonomie de votre enfant : lui que vous avez vu grandir, que vous avez protégé, soutenu, accompagné durant toutes ces années...
Départ d’un enfant : Une étape normale et nécessaire
Les jeunes quittent le nid de plus en plus tard, vers 23 ans en moyenne. Qu'iraient-ils chercher ailleurs alors qu’ils ont tout chez eux : le lit et le couvert, assortis de peu d'obligations ? Quant aux parents, ils apprécient cette intimité partagée et ont de plus en plus de mal à guider leur enfant vers l’indépendance.
Pourtant, "il n'est absolument pas sain qu'un jeune adulte vive chez ses parents après vingt-cinq ans, sauf cas particulier, met en garde Clémence Antier, pédiatre et diplômée en psychopathologie de l'enfant. N'encouragez pas votre enfant à l'inappétence au travail, au non-désir de vie et de responsabilités. Analysez vos motivations subconscientes : peut-être cherchez-vous à combler votre propre solitude en gardant votre enfant chez vous ?"
Il est du ressort des parents d'aider leur enfant à s'accomplir seul, de lui donner suffisamment confiance en lui et en les autres pour qu'il ait la motivation de construire avec sérénité son avenir.
Autrement dit, les parents doivent prendre conscience que l'envol du nid est une étape normale et nécessaire, qu'ils doivent encourager.
Ce n'est pas facile non plus pour le jeune adulte de trouver seul son équilibre de vie. Plus les parents guideront leur enfant vers l'indépendance, mieux la famille vivra la séparation.
S'y préparer le plus tôt possible
Il ne faut pas attendre le départ de l'enfant pour préparer la distanciation des liens. Dès son plus jeune âge, les parents lui apprennent à vivre des moments d'indépendance : petit, il va passer des week-ends chez ses grands-parents ; plus tard, il part en vacances avec des amis...
Ces petites séparations sont souvent difficiles pour les parents, mais elles leur font prendre conscience qu'ils élèvent leur enfant pour son bonheur et non pour eux-mêmes !
« Je me souviens des premières vacances que mon fils a passées sans nous. Il avait 14 ans et partait chez un copain, raconte Nathalie, 47 ans. J'allais dans sa chambre tous les jours. C'était devenu un véritable sanctuaire. Même mon mari était triste, la maison était si calme... Quand mon fils est rentré, j'ai eu du mal à cacher mon bonheur, mais j’ai aussi compris que je devais me recréer un peu d’indépendance, pour ne plus vivre les séparations aussi difficilement. »
Plus les parents sont indépendants, plus ils laissent vivre leur enfant de manière indépendante. Mais, surtout, ils envisagent cette séparation au regard de celle qu'ils ont vécue avec leurs propres parents.
Par exemple, s'ils ont été couvés et en ont souffert, ils seront enclins à laisser davantage de liberté à leurs enfants.
Tout se travaille, tout se digère psychologiquement.
Parfois, il faut lâcher ses enfants pour mieux les retrouver ensuite. Si on les aime pour eux, ils ne s’y trompent pas. S'ils restent proches de vous, c'est parce qu'ils en ont envie, pas parce qu'ils s'y sentent obligés. L’amour et la liberté peuvent très bien cohabiter.
La crise du milieu de vie
Le départ des enfants est d'autant plus difficile à vivre pour les parents qu'elle a souvent lieu pendant une période critique : ils sont à l'aube d'une seconde étape de leur vie. Ils dépassent la cinquantaine, envisagent la retraite, la femme aborde la période de la ménopause...
Les parents se retrouvent "expulsés" sans préavis du "club des jeunes" : leur enfant parti, ils ne sont plus quotidiennement confrontés à la société du jeunisme, avec ses codes, ses préoccupations, son idéalisme...
Conséquence : ils ont terriblement peur de vieillir. Inconsciemment, c'est l'idée de la mort qui les tiraille.
Quel va être le nouveau moteur de leur vie s'ils ne peuvent plus être utiles pour leur enfant ?
Admirer le travail éducatif accompli
Laisser partir ses enfants, c'est pouvoir enfin souffler. La génération suivante reprend le flambeau : les parents peuvent se reposer et vivre le bonheur de leur enfant comme une récompense.
Mais, voilà, leur rythme de vie est complètement bouleversé. « Avec des enfants, le couple "parental" écrase souvent le couple "marital", souligne Catherine Berger. Quand les enfants quittent la maison, le couple se retrouve face à face. Cette intimité peut être source de conflit ou, au contraire, de regain d'énergie terrible... »
Le principal est de se donner du temps à l'un et à l'autre. La femme va vivre une crise d'identification très forte, sa capacité à être aimée est mise à mal par le départ de son enfant. « Elle doit faire un travail intérieur, nécessaire mais difficile, poursuit la psychanalyste, surtout dans cette société du paraître dans laquelle il faut véhiculer une image jeune et dynamique à tout prix. Elle va devoir apprendre à s'accepter avec certains renoncements et ne pas essayer de s'accrocher à son passé... à une image de soi qui n'existe plus. »
Autrement dit : accepter de vivre davantage pour soi, sans ses enfants.
Réinvestir le temps et l'espace autrement
« J'avais tellement envie de prouver que j'étais encore capable de réaliser quelque chose de ma vie après le départ de ma fille que je me suis installée dans le surmenage, se souvient Paule. Je multipliais les heures sup au travail, j'aidais ma sœur dans son association... Mais je n 'étais pas moins malheureuse, au contraire. C'est une amie qui m 'a fait prendre conscience de la situation : j'avais peur de faire face à l'absence de ma fille. »
Au début, le vide affectif est tel que l'hyperactivité apparaît comme une solution de survie. Pourtant, il faut prendre le temps d'accepter ce qui peut être ressenti comme un choc. Rencontrer, dans son entourage, des parents qui traversent les mêmes difficultés peut être une manière efficace de partager sa peine et de mieux vivre la situation.
Cette acclimatation passe aussi par une reconstruction de l'espace familial. L'enfant désormais parti, les parents doivent se réapproprier sa chambre, pour la transformer en un nouvel espace de vie : bureau, atelier, salle de sport... De quoi démarrer de nouveaux projets.
Si la douleur devient trop grande ?
Pour les parents, le départ des enfants correspond à l'heure des bilans : où en sommes-nous à cette période charnière de notre vie ? Qu'avons-nous réalisé ? C'est aussi le moment où se réveillent les deuils anciens, les regrets...
Toutes ces réflexions doivent être considérées avec attention. Cette remise en question correspond à une crise existentielle qui fait grandir les parents et évite certains dérapages vers la somatisation (quand le corps réagit à la douleur morale) ou l'effondrement psychique.
N'hésitez pas à parler de vos émotions avec votre conjoint ou vos amis. Et soyez tolérant envers vous-même : cette période d'adaptation demande du temps, un an en moyenne selon les spécialistes, le temps de repasser par la date anniversaire du départ fatidique.
Si la tristesse devient trop douloureuse, pourquoi ne pas consulter un psychothérapeute ou un psychanalyste, pour bénéficier d'un soutien psychologique.