Faites-vous confiance !
Extrait du livre "Au coeur des émotions de l'enfant" par Isabelle Filliozat.
Margot avait aux alentours de quatorze mois. Elle se réveillait régulièrement la nuit. Fatiguée, je suis allée consulter une pédiatre revendiquant une spécialisation de pédopsychiatre. En quelques minutes le verdict a surgi, brutal : "c'est pour ça", a-t-elle annoncé. Ma fille s'endormait au sein. Selon elle, c'était la cause de tous nos soucis. Son diagnostic était fait. Je n'avais qu'à me soumettre. Mon histoire, celle de ma fille, celle de mon compagnon, elle n'en avait rien à faire. Ce qui était en cause, c'était l'allaitement ! Son raisonnement était imparable : ma fille s'endormait au sein, puis je la remettais dans son lit. Quand elle se réveillait, le sein n'était plus là, elle ne comprenait pas et pleurait.
Sa solution coulait de source (sans réflexion aucune, le lecteur l'aura compris), il fallait supprimer la tétée du soir. Margot devait s'endormir "toute seule". Elle allait pleurer, certes, il fallait la laisser. La pédiatre me rassura, en trois, quatre jours maxi, elle ne pleurerait plus.
Pardon Margot, je te demande pardon. Combien je regrette aujourd'hui d'avoir écouté cette femme. Je t'ai donc laissée pleurer. Tu as pleuré quarante interminables minutes toute seule dans ta chambre, puis tu as fini par t'endormir dans les bras de ton père. Cette nuit-là, tu t'es réveillée toutes les deux heures. Hélas, culpabilisée par cette pédiatre, j'ai récidivé le lendemain, et le surlendemain. Quatre jour plus tard, tu pleurais toujours autant pour réclamer ta tétée du soir et, bien entendu, tu te réveillais davantage la nuit. Alors j'ai envoyé paître les avis des experts et je t'ai écoutée. Je t'ai donné ce que tu réclamais et ce dont tu avais besoin, du contact, du lait, de la proximité... une tétée. Nous avons réinstallé ton lit dans le prolongement du nôtre. Tu t'es endormie au sein avec délice. Rassurée, tu as mieux dormi.
En réalité, je l'ai compris plus tard à la lumière de mes nombreuses lectures et grâce à l'aide d'une psychanalyste intelligente, tu n'avais aucun problème de sommeil. Tu bougeais entre deux séquences de sommeil profond, sans te réveiller tout à fait, tu cherchais à retrouver tes limites de sécurité, tes repères, mon odeur, le sein. Ce n'est que si tu ne me sentais pas auprès de toi, que tu te réveillais vraiment et pleurais. Le raisonnement de la pédiatre n'était pas faux, tu cherchais le sein. C'est sa solution qui était erronée. Il me fallait simplement te garder auprès de moi la nuit dans un lit adjacent au mien !
Nombre de parents prennent leur tout-petit avec eux dans le lit. Ils n'osent pas le dire trop fort et s'en culpabilisent souvent. Ils ont intégré la notion que "ce n'est pas bon". Ils craignent que cela ne perturbe la sexualité ultérieure de leur enfant ou ne l’empêche d'une manière ou d'une autre de se développer normalement.
Dans la plupart des pays du monde, l'expression "faire ses nuits" n'existe pas et les bébés dorment avec leurs mamans tant qu'ils sont allaités, jusque deux, voire trois ans. Certains experts revendiquent le lit comme espace d'intimité des parents. Un peu de créativité, il n'y a pas que le lit pour faire l'amour !
Il est évidemment très important que l'enfant ne sépare pas ses parents. Mais un bébé dormant dans un lit n'a pas ce pouvoir ! Si les parents profitent de sa présence nocturne pour s'éloigner, l'enfant n'y est pour rien. Si une femme invoque la présence du petit pour refuser de faire l'amour, ce n'est qu'une excuse, elle en trouverait une autre si le nourrisson n'était pas là.
Le désir du parent pour le corps de l'enfant est nocif. L'utilisation perverse de la présence du bébé pour éloigner un conjoint ou pour satisfaire un besoin de réassurance affective est problématique, mais pas le maternage.
Un bébé prend de la place dans un lit. Pour que tout le monde se sente bien, accoler un petit lit en prolongement de celui des parents résout bien des problèmes.
Imposer à un nourrisson de dormir sans les bruits de respiration de ses parents, sans l'odeur de sa maman est une violence qui lui est faite au nom de la tranquillité de l'adulte. La séparation précoce ne conduit pas vers l'autonomie mais vers la peur de l'abandon et la dépendance relationnelle. L'autonomie s'élabore sur un sentiment de sécurité. Ne devrions-nous pas nous interroger sur cette crainte d'être abandonné si répandue dans notre société?
Heureusement, la littérature enfantine d'aujourd'hui dépasse le tabou et donne de nouvelles permissions aux parents. Dans de nombreux livres, les petits ours ne veulent pas dormir seuls et finissent leurs nuits blottis contre maman ours ou papa ours.
Les pédiatres ne peuvent pas savoir mieux que les mamans. Ils ont appris des théories. Votre bébé n'est pas abstraction. Il n'est pas théorique. Il est bien réel. Et si les théories peuvent ouvrir des horizons, il est important qu'elles aident à mieux écouter les enfants plutôt qu'à les faire taire et à les soumettre.
Un médecin, un psy, un expert titré ou votre belle-mère cherchent à vous culpabiliser? Sortez! N'écoutez que celui qui vous aide à entendre votre enfant.
Si j'insiste, c'est que les mamans sont particulièrement vulnérables, surtout avec leur premier enfant, mais aussi avec les suivants, car aucun enfant n'est la copie conforme d'un autre. La plupart des mamans veulent bien faire, elles se sentent en charge de cette vie qu'elles ont mise au monde. Elles se sentent facilement démunies face à l'intensité des demandes du nourrisson, elles peuvent se sentir intimidées par ce tout-petit entre leurs mains. Elles font face à une nouvelle responsabilité, à un nouveau métier, et n'ont pour formation que l'éducation qu'elles ont ont elles-mêmes reçue. Elles sont donc des proies faciles pour les donneurs de leçons de tous ordres. L'éducation est un thème sensible , très sensible, qui déclenche volontiers les passions. Les polémiques font rage et divisent les familles.
Il est important de tenir compte à la fois de cette vulnérabilité de la mère et de l'intensité des débats pour l'inviter à s'entourer dès avant la naissance de personnes positives, aidantes et prêtes à écouter sa réalité en face de ce bébé-là, plutôt que leur idéologie.
Quand on fait quelque chose par obéissance aux idées d'un autre, on ne peut que se tromper. Posez-vous la question à la manière canadienne : "Ça me fait oui ou ça me fait non ?" Si ça vous fait oui, faites-le. Si ça vus faite non, abstenez-vous !
Faites-vous confiance, écoutez votre coeur, et faites confiance à votre enfant, écoutez ce qu'il vous dit par ses cris mais aussi par ses comportements, ses attitudes, voire ses troubles. Ce qu'il ne sait pas vous dire par des mots, c'est un langage, il s'adresse à vous, sa mère ou son père, et vous pouvez apprendre à communiquer.
Il est vrai que le langage de l'enfant n'est pas toujours simple à décoder. Si derrière ses pleurs ou ses symptômes il y a toujours une détresse, elle n'est pas évidente à comprendre. Elle peut venir de loin, de sa propre histoire ou de celle d'un ancêtre. En effet, les enfants se font volontiers le miroir de l'inconscient de leurs parents (ou grands-parents). Pour mieux comprendre, l'aide d'un psychothérapeute est alors nécessaire. Son rôle est de vous mettre en mouvement à l'intérieur de vous, de vous indiquer les pistes à suivre pour trouver l'origine des difficultés, de vous aider à formuler votre histoire pour y déceler les noeuds affectifs qui peuvent être actifs dans votre inconscient ou dans celui de votre enfant. Il vous écoutera et éclairera votre chemin en vous, mais c'est vous qui trouverez votre réponse.
Requérez l'aide d'un médiateur, pas d'un conseilleur. N'acceptez pas les avis péremptoires, les définitions abruptes. Les certitudes d'autrui ne vous aideront pas. Vous trouverez vos solutions dans le dialogue avec votre enfant, en tâtonnant, en expérimentant. Chaque relation est une création unique !