La tyrannie d'un enfant peut s'exercer dès le plus jeune âge. Si les parents n'interviennent pas vite en posant des limites, il y a risque d'engrenage. Si besoin, il faut se faire aider. Toutes nos explications et avis de spécialistes.
Comment reconnaitre un enfant tyran ?
« Ce soir, on mange des pâtes ! » Annonce triomphalement Solène, cinq ans. Dans le supermarché, tout le monde s'est retourné en riant, un regard complice pour les parents de la jolie petite brunette au caractère déjà bien trempé. S'ils savaient... Solène, un prénom d'ange sur un corps de petit démon, est capable de se rouler par terre ou de hurler à la moindre contrariété.
Aussi, pas question pour ses parents de s'opposer en public au menu du dîner. Ils acquiescent, trop contents d'éviter, pour l'instant, de dangereux débordements. Mais la soirée ne fait que commencer. « Elle n'est pas de bonne humeur », prévient le père. « Soyons gentils avec elle », propose la mère...
« Je reçois de plus en plus de familles dans lesquelles un enfant encore jeune a pris le pouvoir, explique Didier Larque, psychologue clinicien. Généralement, les parents viennent consulter pour autre chose, le plus souvent pour échec scolaire. En fait, le vrai drame se joue à la maison. »
Confrontés à ces enfants terribles, enseignants et éducateurs ne savent plus comment s'y prendre. Et pour cause s'ils essaient de fixer des limites, les parents viennent leur rappeler les leurs !
Il est vrai que depuis cinq décennies et l'avènement de la pédopsychologie, on nous dit que l'enfant est une personne, qu'il ne faut pas nuire à son développement, qu'il faut écouter ses désirs et prendre garde à ne pas le bloquer. Bref, se dévouer corps et âme et être à son service !
« C'est une très mauvaise compréhension de l'éducation, affirme le Pr Daniel Marcelli, pédopsychiatre, chef du service de psychiatrie infanto-juvénile du CHU de Poitiers. Elle engendre des personnalités mal construites et mal organisées qui, devenues adultes, seront malheureuses et feront souffrir leur entourage. Pour bien grandir, l'enfant a aussi besoin d'une expérience de frustration. Chaque parent doit prendre le risque d'un désamour temporaire de son enfant, à travers lequel celui-ci fera l'expérience d'une limite. »
Hélas, pour de nombreux parents d'aujourd'hui, le refus opposé à l'enfant s'avère difficile à mettre en œuvre. Et ce, d'autant plus lorsque la relation de couple semble vacillante.
Face à un avenir conjugal incertain, la relation filiale devient l'essentiel. Dès lors, devoir accepter de ne pas être pour un instant un "bon parent" aux yeux de l'enfant est vécu comme un effort impossible à réaliser.
Enfant tyran : plus souvent des garçons...
Ces despotes en herbe, qui sont-ils ? Des garçons, le plus souvent, mais les filles ne sont pas en reste. Les enfants uniques, les enfants adoptés ou nés sur le tard de parents âgés sont particulièrement sur-représentés.
Désiré, choyé, adulé, l'enfant roi n'a qu'à ouvrir la bouche pour que l'on se plie à ses quatre volontés.
Paradoxalement, c'est dans ce type même de situation que l'enfant n'existe guère. « Pour exister, il faut rencontrer quelqu'un, et il n'y a pas de rencontre face à l'adulte qui dit toujours oui et qui accepte tout, insiste Nathan Roussel, sociologue et démographe. Il lui manque l'alter, celui sur lequel l'enfant va éprouver qu'il existe et que l'autre existe aussi. L'enfant vit dans un monde imaginaire, où tout est possible, où le moindre de ses désirs est un droit et toute contrariété une injustice. Alors vient la tyrannie, toute prête et normale. »
Plusieurs études l'affirment, les parents sont de plus en plus nombreux à devoir faire face à l'agressivité, physique ou verbale, de leur progéniture. En France, 3 à 4 % des parents souffriraient de celle de leurs grands enfants. Aussi est-il impératif de stopper l'escalade de la tyrannie dès qu'elle apparaît. En général, dès la première année de la vie.
« Nous ne supportions pas de l'entendre pleurer dans son berceau, racontent les parents de Julien. Au moindre cri, nous nous précipitions pour le reprendre dans notre lit. Il ne se calmait qu'à notre contact. Aujourd'hui, c'est lui qui mène la danse. »
Et quelle danse... Julien, âgé maintenant de trois ans, n'est jamais content. Il veut toujours plus et il a toujours plus ! Trois heures du matin : Julien a faim. Ses parents lui proposent une pomme. Il pleure, il voulait un gâteau.
Le gâteau avalé, Julien demande qu'on lui lise une histoire. L'histoire lue, il souhaite écouter la chanson de la Reine des Neiges. Il écoutera la chanson de Reine des Neiges ! Pourquoi ses parents n'ont-ils pas résisté ? Parce que Julien était très en colère...
L'enfant auquel on n'oppose jamais de refus est lui-même victime de sa tyrannie. Inconsciemment, sa demande incessante est l'espoir d'obtenir une limite à son bon vouloir. À chaque fois que les parents cèdent, ils aggravent la provocation suivante et entrent dans une spirale d'exigences dont ils ne sortiront jamais gagnants et dans laquelle l'enfant souffrira. »
Enfant tyran : Le roi du chantage affectif
En effet, les choses risquent de se passer beaucoup moins bien hors du cocon familial. L'enfant dont on a voulu combler le moindre désir se retrouve, finalement, inadapté à la vie en société. Moi je, moi je, moi je...
« À l'école, par exemple, il lui faudra conquérir dans tous les domaines : ne jamais prêter ses affaires mais piquer celles des autres, agresser les plus faibles pour les rendre plus serviles, séduire les adultes pour éviter les contraintes », écrit Didier Larque.
Autant dire qu'il se retrouvera très vite tout seul, avec ses parents pour seuls objets de persécution. En véritable stratège, il usera tour à tour de la colère, des menaces, de la séduction pour arriver à ses fins.
Quelles conséquences sur le long terme ?
Superbe caricature de l'enfant tyran devenu adulte, Tanguy, le héros du film d’Étienne Chatiliez, dont l'arme principale reste le chantage affectif. « Vous m'aimez ? » susurre-t-il à ses parents dès que les choses se gâtent. Tête de chien battu, œil humide... Tanguy maîtrise à merveille l'art de « faire rentrer ses parents dans le droit chemin ». C'est un film et l'on en rit. La réalité est souvent moins drôle.
Beaucoup de ces enfants trop adulés risquent de développer par la suite des pathologies plus sévères. Systématiquement malheureux et en situation d'échec, certains sombrent dans les dépendances (alcool, drogue, sexe), la dépression. Car aux moindres épreuves de la vie, l'enfant tyran s'effondre. Intolérant à la frustration, il vivra comme un drame son premier chagrin d'amour, son incapacité à trouver un premier emploi.
C'est pourquoi il est important d'agir au plus tôt. En réajustant son mode d'éducation, il est relativement facile de faire évoluer de manière satisfaisante un enfant de trois ans ou quatre ans. Entre cinq et huit ans, les changements seront plus difficiles à installer. Plus tard, ils s'apparenteront au parcours du combattant...
Aller voir un psy, pourquoi pas ?
Attention toutefois à cette volonté de tout psychologiser. Avant de s'en remettre aux spécialistes, l'entourage doit s'efforcer de mettre en pratique des règles de bon sens.
On peut alors espérer que l'énergie conjuguée d'un père, d'une mère, des grands-parents et des enseignants sera à même de remettre à sa place le despote en culottes courtes pour qu'il adopte enfin une attitude plus conforme à celle que l'on est en droit d'attendre d'un enfant.
Bien sûr, il est important de consulter si vous sentez que vous avez besoin d'aide et que toutes les solutions misent en place ne fonctionnent pas.
Les 4 règles de base à imposer à l’enfant tyran pour le canaliser
La permissivité génère l'enfant tyran, le retour de l'éducation et de l'autorité suppose le rétablissement d'interdits éducatifs, de la loi parentale en général.
1. Être d'accord avec son conjoint
Si l'un des deux conjoints prend toujours le parti de l'enfant, la reprise en main sera difficile. Les deux parents doivent faire front commun face à l'intolérance de leur enfant. Il ne veut pas se préparer ? Si la mère abonde dans son sens, les fermes résolutions du père n'auront guère de poids.
En appeler à un tiers. "Il est dit dans le livre de nutrition que manger des fruits est bon pour ta santé" sera plus efficace que de batailler en son nom pour qu'il accepte de se nourrir sainement. Ce tiers symbolique permet aux parents de ne pas jouer systématiquement le rôle de gendarme.
II assure la fonction séparatrice nécessaire au bon développement d'un enfant.
Admettre que son enfant est un tyran. Ce n'est pas normal d'être soumis au bon vouloir d'un enfant. Il faut arrêter de trouver des circonstances atténuantes à des comportements inadmissibles.
"Il est en pleine aise d'opposition", justifient les parents désespérés. Mieux vaut accepter le conflit que capituler par manque d'énergie ou par peur de lui déplaire.
2. Qui fait la loi à la maison ? Exigez des horaires
Pour les repas, fixez l'heure du coucher, associez l'enfant à des tâches ménagères... Celui-ci ne doit pas aider quand il le veut bien ou seulement lorsque cela l'amuse ! En un mot, il faut rappeler qui édicte les lois à la maison. Faites le parallèle avec la vie quotidienne scolaire, puisque c'est souvent à l'école que l'enfant tyran marque son refus des contraintes et du principe de réalité.
3. Ne pas se laisser dominer par ses émotions
Il ne s'agit pas de tout interdire après avoir tout permis ! "Tu veux regarder la télé, c'est d'accord. Mais seulement lorsque tu auras fini tes devoirs !" Si l'enfant persévère dans son refus, ne réagissez surtout pas avec vos émotions. Ce n'est ni en criant ni en gesticulant que vous redeviendrez maître à bord. Soyez ferme et ne revenez pas sur la punition annoncée parce qu'il verse un torrent de larmes.
Il n'a pas voulu ranger sa chambre ? Ne le menacez pas continuellement de lui confisquer son jeu vidéo, mais passez plutôt à l'acte. Car c'est ainsi que vous redeviendrez crédible en tant que parent qui décide !
4. Pendant la crise, évitez les longues discussions
A discuter et à argumenter vos décisions, vous le placez dans une position d'égal à égal. Et comme tous les dictateurs en herbe, l'enfant tyran sait convaincre par des arguments forts. Soyez économe de vos paroles pendant le conflit. Bornez-vous à lui rappeler vos règles. II doit les respecter. Un point, c'est tout !
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