Pourquoi la VEO est-elle acceptée ?
L'enfant dénie ce qu ’il vit
Ce qui est trop douloureux est généralement nié. L’enfant frappé dit très souvent, d’un ton provocateur, de défi : «Même pas mal. »
Le plus souvent, l’enfant ne se révolte pas contre ses parents. Mais toute cette violence accumulée se déverse sur ses frères et soeurs, ses copains de classe, puis plus tard sur le conjoint et ses propres enfants. Les garçons élevés dans la violence deviennent très souvent des hommes violents avec leur femme. Et les filles, devenues femmes, utilisent la violence physique sur leur enfant petit et la violence psychologique, verbale sur
leur conjoint et leur enfant plus grand.
L’enfant dénie ce qu’il vit. Il se fabrique une carapace pour supporter toutes ces humiliations en se coupant de ses propres émotions et par la suite de celles des autres. Il ne «ressent» rien, n’a plus d’empathie ni pour lui—même ni pour les autres.
«Tu ressens quoi, toi, quand tes parents te punissent de cette façon-là ? Qu’est-ce que tu en penses? "Je ne ressens rien. Puisque ce sont mes parents qui me punissent, cela doit être normal.»
La position dominante de l'adulte
La position dominante de l’adulte amène très souvent l’enfant à accepter cette violence. Ayant toujours connu ce rapport de domination avec ses parents, il le juge normal. L’enfant ne dit rien ou très rarement. Il apprend a subir, a ne plus rien ressentir et il ne veut surtout pas accuser ses parents. Ce serait trop insupportable de les remettre en question, de les accuser. Cette attitude persiste chez l’adulte. 85% a 90% d’entre eux ont subi une VEO, et la plupart d’entre eux dénient ce qu’ils ont vécu ou même le justifient.
La «morale» : « Si je te punis, c'est pour ton bien !» entraîne une confusion des règles éthiques : «On a le droit de faire du mal pour faire du bien... »
Les adultes, en violentant les enfants, prennent souvent un ton moralisateur et culpabilisant pour dire à l’enfant : «Si je te punis, c’est pour que tu comprennes que tu ne dois pas faire cela. C'est pour ton bien. Je veux que tu sois un enfant bien élevé qui se conduise bien et qui ne devienne pas un délinquant. »
Que peut-il comprendre de ce discours? L’adulte fait ce qu’il lui interdit de faire : «Mon père a le droit de me frapper mais moi je n’ai pas le droit de frapper et en plus il me dit qu ’il le fait pour mon bien, alors que moi cela ne me fait pas du bien... Je n ’y comprends rien. »
Ces phrases proférées par les adultes justifient tous les débordements, les humiliations, les paroles blessantes, les punitions infligées aux enfants. Les adultes se sentent déculpabilisés en prononçant ces mots ; «C'est pour ton bien.» Et par ricochet, l’enfant est culpabilisé s’il proteste car ses parents lui veulent soi-disant du bien en agissant ainsi. Il doit se taire et accepter la violence sans rien dire.
Pour l’enfant, cette violence sous couvert de morale suscite une profonde confusion des règles éthiques. «J’ai le droit de faire du mal pour faire du bien ! J'ai donc le droit d’agresser physiquement et moralement quand je ne suis pas d'accord avec quelqu’un car je le fais “pour son bien ».
Une fois adulte, pourquoi changer de mode éducatif?
L’enfant devenu adulte dira : «Pourquoi voulez-vous que je change avec mon enfant ? Moi j'ai été élevé comme cela et vous voyez le résultat. II n’est pas trop mal. Mes parents ont bien fait. S’ils ne m’avaient pas corrigé, je ne serais pas ce que je suis maintenant. Ce que je fais avec Maxime, c’est de l’éducation, cela va lui faire du bien. » La majorité des adultes approuvent l’éducation donnée par leurs parents. Ils ne se questionnent pas, ils ne remettent pas en cause leurs parents puisque : «Je le méritais. Mes parents ont bien fait. » Et la transmission de ces pratiques se poursuit de génération en génération.
Les étiquettes d’« enfant tyran » et d’« enfant roi » encouragent les adultes à utiliser les rapports de force
Les adultes entendent les professionnels dire : «Attention, votre enfant vous fait marcher/ Il vous manipule», «Il faut que vous soyez très vigilants, vous ne devez pas vous laisser faire par votre enfant car sinon il risque de vous déborder, vous ne saurez plus comment faire, il deviendra un tyran qui imposera sa loi à la maison. Donc vous devez dés qu ’il est tout petit le tenir et le corriger très fermement. »
En entendant ces paroles, les parents prennent peur : «J’ai peur que mon enfant devienne un tyran, c'est lui qui va commander. J’ai entendu cela à la télé, et à la radio. Il parait qu’il devient comme cela si on ne le corrige pas et qu’il faut absolument le punir quand il fait une bêtise. Cela me fait vraiment très peur, est-ce que vous comprenez? Donc j’applique ce que j’ai entendu dire, je le punis. » Ce discours conforte les adultes dans l’idée qu’«il faut corriger les enfants » dés la plus tendre enfance.
L'étiquette d'un « enfant tyran » empêche d’évoluer en matière d ’éducation
Cette étiquette, proclamée comme une vérité, empêche de réfléchir à l’éducation. Elle ne permet pas de comprendre les particularités de l’enfant, sa grande fragilité émotionnelle, l’immaturité et la vulnérabilité de son cerveau. Cette méconnaissance conduit à des réactions inappropriées de l’adulte.
L ’étiquette d ’« enfant tyran » inverse les responsabilités
L’image d’«enfant tyran» inverse les responsabilités. Elle place l’enfant en position de bourreau et met l’adulte en position de victime. Dans la relation adulte-enfant, qui a la place dominante? Qui est le plus fragile? Lequel des deux tyrannise l’autre, le parent où l’enfant? Le rapport adulte-enfant est inégalitaire physiquement et moralement, l’adulte dominant l’enfant par sa force physique mais aussi par son emprise morale, psychologique, intellectuelle. Cette image de l’« enfant tyran», ce danger brandi en avant d’un enfant dominateur est un non-sens car c’est bien l’adulte qui a tous les instruments du pouvoir et qui trop souvent en use facilement ou abusivement pour soumettre l’enfant, le rendre obéissant, l’obliger a faire comme l’adulte veut et quand il le veut.
Cette conception de l’« enfant tyran» ne peut plus tenir au regard des connaissances actuelles sur l’immaturité, la fragilité et la vulnérabilité du cerveau dans la petite enfance.
L ’enfant est un « très facile bouc émissaire»
Une des raisons inavouées de cette violence qui persiste est la faiblesse physique de l’enfant qui permet de l’agresser très facilement.
«Dans la société, le tabou du silence protège le droit de l’adulte à utiliser l’enfant tant qu’il le veut pour la satisfaction de ses besoins, à le prendre comme exutoire a l’humiliation dont il a jadis souffert», écrit Alice Miller‘.
L’enfant sert de bouc émissaire conscient ou inconscient à tous ces adultes qui ont vécu de la maltraitance psychologique ou physique durant leur enfance. C’est alors une sorte de vengeance inconsciente. Quand l’adulte se sent frustré, énervé, il lui est alors facile de «passer ses nerfs» sur l’enfant quand il est petit car son répondant est très faible. L’adulte ne craint rien, sa force physique lui permet de le maîtriser très facilement. «Vous ne pouvez pas savoir à quel point, de temps en temps, mon enfant m'énerve. Et cela me fait du bien de passer mes nerfs Sur lui."
L'enfant petit dérange
"Il n ’arrête pas de faire des bêtises: il me fatigue. Il court dans tous les sens. Je suis sûr qu ’il le fait exprès, rien que pour m’embêter. Il faut bien- qu ’il comprenne une bonne fois pour toutes. Il faut qu ’il s’en souvienne. De toute façon, je ne vois vraiment pas comment faire autrement. »
L’immense vitalité de l’enfant masque sa grande fragilité. Il donne le change. Il à des ressources. L’enfant petit est bouillonnant de vie, il a besoin d’espace, ne tient pas en place. Il exprime bruyamment ses émotions, rit très fort, pleure dés qu’il est contrarié. Il n’est pas «raisonnable». L’enfant jusqu’a 5-6 ans dérange. Il vit et pense différemment de l’adulte. Son énergie vitale considérable le pousse a courir, grimper, explorer. Son enthousiasme est débordant. Il est curieux, il veut toucher à tout, comprendre, jouer. Souvent ses rêveries le conduisent dans l’imaginaire. Il ne vit pas dans le devoir. Il n’a pas la notion du temps et ne se soucie pas des réalités quotidiennes.
Toutes ces particularités inhérentes à l’enfant petit perturbent de nombreux adultes qui souhaiteraient probablement qu’il rentre vite "dans le rang» et devienne comme eux, soucieux des réalités quotidiennes et participant aux taches familiales. Certains parents se déchargent totalement du ménage et de la cuisine sur leur enfant de 8-10 ans.
Il faut qu’il soit sage, qu’il ne bouge pas dans tous les sens, qu’il reste assis tranquillement, qu’il obéisse aux ordres, qu’il soit propre, ordonné, qu’il mange ce qu’on lui donne, qu’il aide a la maison et aille se coucher à l’heure dite, sans broncher. Bref... qu’il ne soit plus un enfant.
Enfin, la méconnaissance des effets très négatifs de la VEO que nous avons exposés plus haut peut expliquer en partie son acceptation et les réactions Violentes qui tournent en ridicule, en dérision ce sujet dés qu’il est abordé : «C’est vraiment un sujet sans importance. Vous feriez mieux de vous préoccuper de choses plus importantes comme le chômage, la crise, la misère ! » Ce sujet dérange donc. Mais nous avons désormais les preuves objectives des effets négatifs de ces pratiques sur le fonctionnement et le développement cérébral. Et ce retentissement cérébral perdure à l'âge adulte et perturbe la personne dans sa façon de vivre. sa relation aux autres, sa capacité à s’épanouir et à mener une vie en rapport avec ce qu’elle souhaiterait.
Le texte est un extrait du livre "Pour une enfance heureuse"
du Docteur Catherine GUEGUEN.